GILLES BECHET 04 MAI 2023
À la galerie Mathilde Hatzenberger, Olivia Barisano livre le fruit d'une passionnante recherche création autour des poteries de Vallauris. Jusqu'au 27 mai.
Le lien entre la céramique et sa pratique, une terre et un territoire a longtemps été ce qui faisait la fierté de la région de Vallauris. Aujourd'hui, la tradition de la poterie, qui y était présente depuis le 16e siècle, appartient désormais au passé. Les puits d'extraction sont fermés et les céramiques dites « de Vallauris » sont produites avec de la terre importée.
En 2017, la céramiste Olivia Barisano, formée à La Cambre, redescend vers le Sud, terre de son enfance, pour un projet de recherche et de création à partir des traditions de la poterie à Vallauris.
Dans des terres mises à nu par les chantiers de terrassement d'une future zone commerciale, elle repère huit terres de couleurs différentes et riches en kaolinite, caractéristiques de ce terroir. Elle va en faire le cœur du projet qu'elle baptise Golden Valley, en référence au nom latin de Vallauris, Vallis Aurea. Revenue aux fondamentaux de son métier, elle extrait quelques échantillons de ces précieuses terres en reproduisant les gestes oubliés des ouvrières chargées autrefois de l'extraction. Avec son butin, elle façonne des petits lingots de terre.
Soucieuse de renforcer les liens entre passé et présent, elle crée des sculptures qui fusionnent les formes des cabas et des marmites traditionnelles en terre cuite. Dans ces « sacs-marmites » qu'elle a confectionnés, elle fera des pots-au-feu de légumes au cours de performances à l'Ecole d'art céramique de Vallauris où elle a été accueillie en résidence.
Malheureusement, les quantités de terre qu'elle a pu extraire étaient assez limitées. Elle s'en est donc servie pour faire des engobes pour ses sacs marmites. Avec les dernières poudres de terre, elle réalise des aquarelles, une par teinte de terre, des exercices de méditation où l'infiniment petit rejoint l'infiniment grand, du géologique au cosmique.
L'exposition à la Galerie Mathilde Hatzenberger rassemble les aquarelles, des vidéos de son travail de prospection et d'extraction, les pains de terre et un échantillonnier des huit terres cuites à des températures croissantes. Et quelques-unes des étonnantes sculptures de sacs-marmites cuites dans le dernier four à bois en activité à Vallauris.
Dans le soin pris à magnifier et à utiliser la moindre poussière de terre collectée à Vallauris, Olivia Barisano témoigne de son respect du terroir et du matériau autant que des traditions.
L'autre série de pièces présentée dans la galerie poursuit une recherche entamée lors de sa première exposition, en 2017. Sa matière première est ici de la porcelaine récupérée au marché aux puces ou dans les donneries, qu'elle va réduire en poussière, tamiser et humidifier. Dans cette sorte de « chamotte de tessons » qu'elle va mettre en forme et passer au four, les micromorceaux de porcelaine vont cuire et s'agglutiner ensemble. Les pièces qui sortent du four ressemblent à des vases ou des mortiers entre l'organique et le minéral, le concret et l'abstrait. Avec cette technique, elle va de plus en plus loin dans l'éclatement des formes qui apparaissent comme des vestiges géologiques prélevés dans l'écorce terrestre même. Comme une sorte de mémoire d'un futur imaginé.
https://www.mu-inthecity.com/olivia-barisano-galerie-%20mathilde-hatzenberger
Olivia Barisano quitte le Sud français, terre de son enfance, pour poursuivre ses études supérieures dans le grand nord gelé. Elle rejoint et obtient un brevet de Technicien supérieur en design d'espaces à l'ENSAAMA Olivier de Serres en 2004. Puis cap encore plus au Nord vers Bruxelles et ses frimats afin de poursuivre par un master en aménagement d'espaces scénographiques en arts visuels à La Cambre, obtenu en 2009. Une période qui lui permet de se rapprocher de sa « nonna » et de ses racines italiennes. C’est un temps fécond d’apprentissage comme d’expériences artistiques et professionnelles. Pendant ses études, elle est déjà scénographe ou costumière pour le théâtre, le cinéma, et d’autres institutions culturelles. C’est à cette époque que nous nous rencontrons. Je m’en souviens en chaire, en os et en céramique. Déjà un remarquable portrait en raku de Maria Minacapelli, la mère grand, intarissable source d’inspiration et indéfectible complice, rejoint bientôt par une assiette hors norme en biscuit, qui servait d’écran de projection au film « Paysanne ». Cette vidéo en forme de tondo, que je me remémore avec plaisir et intensité, est représentative de cette série où Olivia demande à son aïeule de réaliser, ou comme ici, de mimer des gestes traditionnels ou coutumiers. En l’occurrence, elle bêche avec sa canne dans son salon bruxellois, pour montrer à sa petite fille, derrière la caméra, comment jeune paysanne en Italie elle procédait. Avec la réalisation de ce support remarquable par son imposante dimension et sa grande fragilité s’impose vraisemblablement le souci de se parfaire techniquement. Olivia retrouve le chemin de la Cambre en 2014 pour obtenir un autre master, cette fois spécialisé en céramique, dont les résultats sont d’emblée salués par le milieu : elle figure, fraîchement diplômée, dans la Triennale du Verre et de la Céramique de Mons en 2016.
En 2017, « De la poussière », sa première exposition personnelle propose un remarquable panorama des intérêts pluridisciplinaires de la jeune artiste. Toujours présente symboliquement, la figure tutélaire de la grand-mère s’efface petit-à-petit pour faire place à une évocation métaphorique. Dans l’espace, Olivia fait coexister les « assiettes à dessins », qui renouvellent le genre de l’assiette décorative en utilisant une matière assez tendre pour être poncée, permettant ainsi de retrouver les pigments qui s’y cachaient et parfois même d’arriver jusqu’au percement, avec les « monticules », terrils et tumulus à la fois, et les « mortiers », réagrégations de tessons et de poussières, et différentes compositions mêlant objets trouvés, éléments céramiques et vidéo. Au cœur de ce langage délicat et pur, un temps infiniment renouvelé où le geste et sa répétition donnent nouvelles formes et vies à des fragments, déchets d’atelier ou de trottoirs. Où la tradition comme l’usage des choses se voient accorder une nouvelle affectation voire une nouvelle vie.
Retour au bercail. Vallauris, qui s’était quelque peu éloignée de son illustre histoire de terre et de création, y gagne immédiatement un haut lieu pour la céramique. Espace de travail, d’exposition et de résidences, Olivia crée son « Terrail », un espace généreux qui enrichit incontestablement le paysage artistique. Là, elle y met son propre espace de travail, ses talents techniques comme pédagogiques au service d’artistes non spécialistes mais désireux d’approcher ce medium rigoureux. Longue vie à ce lieu de tradition et d’échanges propices qui imagine un avenir radieux à une technique artisanale mise à mal à l’ère du tout industriel jetable et bon marché.
Il me tarde de découvrir la présente exposition qui signe officiellement le retour dans la « vallée dorée » de cette fille du cru, et matérialise un nouveau chapitre de son œuvre relié d’une façon ou d’une autre à la terre.
Je repense souvent aux plans en coupe de la croûte terrestre découverts quand j’étais enfant. Des plans où l’on voit un noyau solide cerné d’un noyau en fusion rassembler, tenir presque, la planète et ses multiples épaisseurs. Quand je marche sur la terre battue, rocailleuse, je pense aux strates qui sédimentent sous mes pieds, à l’amoncellement de minéraux, à leurs différentes qualités et caractéristiques. Cette profondeur est invisible, et pourtant vertigineuse. D’autant plus vertigineuse lorsque l’on regarde autour de soi et que l’on voit combien le béton grignote les sols, combien les chantiers de construction sont nombreux, coulant des couches artificielles sur le vivant. Cette superposition de matières antagoniques étouffe les sols et les appauvrit, les rend davantage hermétiques, parfois incapables d’absorber les eaux, occasionnant ainsi des inondations.
Le recouvrement opère bien plus loin : au-delà des sols, des plantes, d’une géologie brute, ce sont des histoires et des mémoires qui finissent par être enfouies dans les strates de terres ; des pratiques et des gestes aussi. C’est ce qui m’a sans doute le plus touchée dans le travail d’Olivia Barisano : cette attention aux savoir-faire, aux patrimoines matériel et immatériel qui se fondent petit à petit dans le passage du temps et de la matière.
Dans la continuité de son engagement comme céramiste contemporaine, l’artiste s’est intéressée à l’histoire de la poterie et du travail de la terre dans les environs. Cette histoire est prégnante ; en sillonnant les rues assoupies de la ville, j’y vois des références partout, elle est la base de sa mythologie. Son nom même vient de là : “vallée d’or”. Des fragments de céramiques datant de l’époque romaine témoignent de cet ancrage séculaire. La Vallis Aurea a vécu des hauts et des bas, des éclats de gloire et des phases d’étiolement. Actuellement, la plupart des puits où l’on cherchait des argiles à la réputation solide sont fermés. Il en subsiste quelques-uns, abandonnés, peu entretenus et non cartographiés. Des passionné·es les parcourent encore à ce que j’entends, mais la mémoire collective commence à les sceller dans l’oubli. Le recouvrement c’est aussi ces mondes qui disparaissent. Restent des traces sur et dans des bâtiments, des clichés en noir et blanc, les récits de celles et ceux qui ont vécu cette période ou l’ont reçue en héritage. Aujourd’hui il n’y a plus d’entreprise commercialisant la terre de Vallauris localement, on la produit ailleurs pour la réimporter. Du reste, à proprement parler, existe-t-elle encore cette terre si pure et réfractaire qu’elle fit la richesse de la vallée et fut recherchée par les meilleur·es céramistes ?
Sans toutefois entreprendre une enquête historique, Olivia Barisano a sondé son terrain de recherche les trois dernières années avec ces questionnements en tête. Elle en a tiré un journal ajoutant des niveaux de lecture à sa production plastique qui s’est, elle, concentrée sur ce que les gestes révéleraient de la matière. Les œuvres inspirées de ce parcours sont regroupées dans l’exposition Golden Valley où l’artiste donne à voir une approche sensible, corporelle et poétique.
En sillonnant le paysage, près du chemin de Puissanton, elle découvre un chantier probablement proche de l’ancien “puits saint”. Le chevauchement des architectures dans le site la saisit : la construction en béton en cours, l’assemblage de blocs rappelant des dolmens, les couches géologiques dans la roche dynamitée révélant les superpositions à ciel ouvert de huit terres différentes qu’elle collecte. Certains de ces pains d’argile bruts, extraits avec leurs impuretés, sont montrés dans l’exposition, avec des fragments des plastiques qui les enveloppaient.
Sur place, dans le chantier, lors d’une performance in situ sans public, installée sur une roche en lévitation, elle pétrit chaque terre jusqu’à la transformer en brique. L’artiste claque la matière entre ses doigts, reprenant un geste de labeur spécifique à Vallauris, celui des rebelissières, les femmes qui préparaient la terre au 19e siècle. La répétition du mouvement inscrit dans son corps le long travail effectué pendant des siècles par d’autres corps, d’autres mains. À l’Ecole d’art céramique de Vallauris, les huit briques crues – chacune avec sa trame géologique unique et sa teinte propre, du noir à l’ocre, en passant par le café, le violet et l’orangé – sont visibles empilées comme un signal de ces recouvrements et stratifications. Elles sont les empreintes d’un espace voué à disparaître. Le chantier, alors à l’arrêt, devient un lieu d’expérimentation et de spéculation pour Olivia Barisano. Un de ces huit échantillons pourrait-il correspondre à la fameuse terre de Vallauris ? Il semblerait car, récemment, l’artiste les a fait analyser par un géologue pour déterminer leur structure et ensemble ils ont confirmé un fort taux de kaolinite, indice attestant que les argiles datent de l’ère du Bathonien à laquelle appartient la terre originale de la “vallée d’or”.
Dans l’exposition, trois vidéos témoignent de ce processus d’arpentage, des superpositions à l’œuvre ainsi que de l’impact des éléments naturels sur la matière. Dans Extraction (2019), une terre presque liquide est prélevée dans des nappes d’eau qui s’infiltrent ; dans Construction (2019), le vent s’invite dans la performance où l’artiste malaxe la terre, tandis que le feu lèche les sculptures qu’elle en a tiré dans Consommation (2021), une performance culinaire, ouverte au public cette fois-ci.
Le travail s’effectue en étapes. Le site naturel cède la place à l’atelier. Elle y prépare les terres, les tamise, les sépare, pour ensuite les façonner et les cuire. Dans une réflexion mêlant richesse, capitalisme, consommation et usages, elle décide de mouler ses prélèvements sous formes hybrides, mi-cabas, mi-pignates. Considérant que la fortune de Vallauris venait de sa terre, elle interroge les objets du quotidien emblématiques de notre société et cherche à déterminer quel contenant reflèterait le mieux l’opulence aujourd’hui. Son cheminement la conduit des sacs de luxe à ceux de courses, puis à l’utilisation séculaire de pignate dans la région - des marmites en terre cuite avec des anses dans lesquelles on cachait aussi... de l’argent, selon le témoignage des anciens. Olivia Barisano joue alors avec l’idée d’un logo pour la marque fictive Golden Valley (logo également apposé sur ses briques) et fabrique des moules pour façonner ses terres.
Le résultat est un ensemble architectural hétéroclite où se côtoient une colonne fragile de 8 sacs empilés, des sacs disposés individuellement, d’autres en tas de 2 ou de 3, et même des sacs écrasés placés sur une palette en métal soudé. Ce jeu d’équilibre ponctue l’espace. Certaines des œuvres ont été émaillées à l’intérieur comme les pignates traditionnelles, d’autres pas. La brillance et les nuances de l’émail changent selon l’éclairage, il faut jouer du regard et de la circulation du corps pour rentrer dans les pièces et leurs replis. Sur la plupart, on retrouve aussi la morsure des flammes. À l’automne 2021, l’artiste brûle ses pignates “à l’ancienne” puisque ces marmites étaient des utilitaires ancrés dans la vie quotidienne que l’on déposait directement sur le feu pour cuisiner, comme elle l’a fait le temps d’une soirée avec dîner collectif. Telles les reliques d’un repas, des os jonchés à même le sol après un festin, Olivia Barisano propose également de découvrir un tas d’anses dans l’espace de l’exposition. Enfin, jouant encore sur les codes du luxe et de la possession, des pièces de collection faites avec chacune des huit terres, et estampillées avec le logo de sa marque, sont présentées dans un coffret en bois. Les argiles sont rendues à un statut de matière précieuse.
Ses sculptures contiennent et dévoilent les mémoires engrammées dans les plis des terres. Les récits sous-jacents dans Golden Valley comme ces objets hybrides sont érodés par le temps qui passe et par les changements d’usage et de savoir-faire. Ils s’usent, mais restent poreux, prêts à être réinventés comme l’expérimente Olivia Barisano.
Dans cette exposition, son travail fait écho à d’autres pratiques artistiques liées à la terre, ses pigments, ses altérations et ses traces. Je pense notamment à l’installation On Yellows (2019) d’Irene Kopelman où l’artiste reproduit un pan de roche d’une falaise du Cañon del Ocre à Famatina, Argentine. Minutieusement, elle déplace ces fragments au sol, en contrepoint à la verticalité de l’originale. Les interventions murales de Dale Harding et de Michelle Stuart ont également des correspondances avec l’approche d’Olivia Barisano. Dans Wall Compositions from Memory (2018), Dale Harding compose avec son cousin une fresque monumentale dans laquelle ils mêlent leurs salives à des échantillons de terres des territoires aborigènes Garingbal, Bidjara et Wurundjeri – ces prélèvements portent les traces des histoires de ces lieux et des songlines des communautés qui y vivent (les lignes de chanson qui guident les aborigènes). Michelle Stuart, pour sa part, réalisa plusieurs rouleaux de frottage dans les années 1970. Parmi ses scrolls célèbres, on peut mentionner Sayreville Strata Quartet (1976) ou Mesa Verde (1977) : elle y appliquait de la terre et des pierres issues de territoires de communautés natives américaines, des matières organiques chargées du passage du temps et de la marque de ces populations.
Toutes et tous ont en commun de réclamer la terre et ses mémoires, de les rendre visibles, dans des œuvres où la matière tient le premier rôle. Comment retrouver la connexion qui se perd avec nos terres et nos gestes ? Comment préserver ces savoirs et histoires ? Le chantier à l’origine du projet a maintenant repris, il poursuit son entreprise de recouvrement. Entre les constructions encore inachevées, on distingue la roche dynamitée en arrière-plan - bientôt une parcelle ensevelie qui continuera pourtant à vivre dans les sculptures d’Olivia Barisano.
https://www.cotemagazine.com/fr/urban-guide/art-culture/item/13536-olivia-barisano
Pour sa première exposition personnelle, Olivia Barisano montre des céramiques et des porcelaines, des pièces qui transcendent leurs formes simples pour faire parler la matière et les gestes qui les ont façonnées.
Ce sont des objets humbles. Ils ne s’imposent pas. Comme si la terre nous
chuchotait quelque chose. L’artiste - qui vit entre Bruxelles et le sud de la France - les appelle des monticules. On peut aussi penser à des fourmilières ou à des tumuli venus des temps anciens.
Les sculptures en céramique d’Olivia Barisano ne se lisent pas du premier regard. On glisse sur leurs formes simples et leur surface craquelée, couverte d’une pellicule poudrée. Elles sont faites d’une chamotte façonnée avec la poussière provenant de bibelots de porcelaine concassés, pour être ensuite recuite. Le geste, répétitif, d’écraser, de poncer, de brosser, de trier et de rassembler est au cœur de ce travail. C’est la première exposition d’objets d’une artiste qui s’était fait connaître par ses performances traversées par les thématiques de la transmission et de la nourriture. Sa grand-mère italienne y occupait une place centrale et active. La vidéo d’une dame en tablier bleu y fait allusion. Des gestes devenus une danse.
La porcelaine, c’est l’art de la table. Olivia Barisano s’est intéressée à la technique de ces biscuits translucides pour créer aussi des assiettes fines comme un trait. Poncées et recuites plusieurs fois, elles révèlent
toutes leurs couches intérieures par des auréoles de couleur semblables à celles qui apparaissent lorsque l’huile se mélange à l’eau. Et elles sont parfois poncées encore jusqu’à être percées à cœur. La pièce, le semainier superpose sept de ces assiettes comme pour trancher le temps. D’autres travaux paraissent plus bruts avec quelque chose de minéral, d’archaïque, comme extraits des profondeurs du temps. Chacune de ces pièces est une expérience d’alchimie sur le devenir des matières et des couleurs. Un retour à l’essentiel. Il y a aussi cette petite archelle toute simple, oubliée trop longtemps au mur d’une cuisine.
Des pièces en pâte de verre translucide légèrement bombées sont posées dessus. Avec leur cordon de couleur, elles rappellent la forme d’un masque anti-poussière. Ou celle plus sensuelle d’une poitrine féminine. C’est à un personnage féminin sorti d’un conte de fées que fait penser la brosse enchaînée et rouillée abandon- née dans un coin. Cet intrigant ustensile qu’est le balai de mémoire pourrait être celui que l’impitoyable marâtre impose à la pauvre souillon pour balayer encore et encore. On peut tout simplement y voir une métaphore du cycle du temps, car peu importent les coups de balai, tout redevient poussière.
GILLES BECHET
• 04 MAI 2017
Première exposition solo chez Mathilde Hatzenberger Gallery pour Olivia Barisano, d'abord formée en Design d’espace à l'Ecole ENSAAMA, Olivier de Serres de Paris puis en Master en scénographie à La Cambre. Depuis lors, elle signe plusieurs créations en tant que scénographe et costumière pour des projets théâtraux, muséographiques ou encore cinématographiques.
Cette jeune artiste française développe un travail personnel et solo autour de la filiation. Ainsi, elle a présenté sa grand-mère dans une vidéo où l'on voit cette dernière effectuer les gestes d'une paysanne qui travaille dans son potager, alors qu'elle est dans son salon. Cette grand-mère emblématique incarne les questions sur l'origine, la transmission, le temps et la mémoire.
Olivia Barisano utilise aujourd'hui la céramique pour un travail plus intime axé sur le quotidien, la maison, le cocon du home. Toute d'abord avec une série d'assiettes, modelées en plusieurs couches de porcelaine de plusieurs couleurs, puis cuites en biscuit, c'est-à-dire non émaillées. Elles sont ensuite poncées de manière irrégulière, comme pour marquer l'usure du temps. Ce sont les repas de famille, les assiettes posées en cercle sur la table, ce qui s'échange au-dessus de ces ronds de porcelaine, lunes plates, témoins des crises et des tendresses qui sont représentés ici. L'objet, banal, quotidien, se charge d'un monceau de choses, les souvenirs familiaux et familiers de l'artiste mais aussi les vôtres.
Plus loin, des monticules de poussière, magmas de faïence et porcelaine brisées. L'artiste réduit en petits morceaux des objets décoratifs trouvés ou chinés et les utilise pour créer ces étranges petits volcans. Avec cette même matière récupérée, elle forme des bols, structures fragiles et amalgamées, qui semblent chargées de tous les orages mais s'effritent un peu sous les doigts. Le tout présente une aura d'une grande délicatesse et d'une belle poésie.